Concept d’architecture apparu dans les années 2010, l’Edge Computing – ou informatique «en périphérie» –, alternative au tout Cloud, a peiné à s’imposer auprès des industriels. La multiplication des cas d’usage IA et l’arrivée de la 5G semblent enfin annoncer le vrai décollage du modèle. Article paru dans L'Informaticien n°197 (juin 2021).
Légende illustration : Quand tout est question de latence… Une architecture uniquement basée sur le Cloud public introduit des délais de latence supérieurs à 100 ms. Ce délai tombe sous la milliseconde avec l’Edge Computing.
Smart City, Industry 4.0, logistique, transports et encore grande distribution ou e-Santé, les exemples d’usages de l’Edge Computing présentés par les analystes et les fournisseurs de solutions ne manquent pas. Pour autant, les vraies applications de l’Edge Computing peinent à émerger.
Parmi les secteurs les plus porteurs d’espoir pour les vendeurs de solutions Edge, l’industrie. Sur son site de production de Vaudreuil, Schneider Electric a déployé un réseau 5G indoor qui collecte les données de production vers un micro-datacenter durci SmartBunker. Ce rack Edge 6U met à disposition les informations aux agents de production équipés de tablettes 5G. L’intérêt de placer cette infrastructure au cœur de l’atelier de production et de coupler cette infrastructure à un réseau 5G est de réduire au maximum la latence qui affecte la transmission des données; le moindre événement qui survient sur l’un des équipements est immédiatement remonté aux agents concernés, même si ces derniers ne sont pas à proximité de la machine. Au-delà de ce démonstrateur technologique, beaucoup d’entreprises ont déployé des infrastructures Edge bien plus légères, généralement une gateway constituée d’un PC durci doté de capacités de communication 2G/3G, ou Lora/Sigfox, afin de centraliser et transmettre des données de capteurs. Néanmoins certains ont élaboré une architecture Edge à grande échelle. C’est le cas de Toyota qui a fait le choix de l’offre Azure IoT Edge de Microsoft comme socle de GAUDI, sa plate-forme de traitement des données IoT avec une architecture sur trois couches, comme l’explique Tomonori Okada, responsable du groupe de travail au sein de la DSI de Toyota Industries : « Les conditions d’utilisation et les temps de réponse varient énormément, nous avons estimé que l’utilisation d’appareils périphériques installés sur les sites de fabrication pour traiter les données serait la meilleure option dans certains cas. Dans d’autres, le Cloud ou se placer entre le Cloud et l’Edge seraient préférables. Pour prendre en charge ce large éventail de cas d’utilisations, il nous fallait un même environnement au niveau Edge, au niveau Fog et au niveau Cloud pour accroître le taux de réutilisation des composants logiciels. Azure était le choix idéal pour cela.» La plateforme collecte les données de production au niveau des équipements, mais permet aussi de distribuer les traitements au plus près des besoins. Les pipelines d’apprentissage et de validation des modèles de Machine Learning sont bien évidemment réalisés dans le Cloud Microsoft, mais l’exécution des inférences de ces modèles est réalisée au plus proche des machines, typiquement sur des composants FPGA placés sur une gateway installée dans l’atelier.
Schneider démontre avec Orange l’intérêt des synergies entre 5G indoor et EdgeSchneider démontre avec Orange l’intérêt des synergies entre 5G indoor et EdgeComputing sur son site industriel de Vaudreuil, dans l’Eure. Reste à convaincreles industriels d’installer des micro-datacenters dans leurs ateliers.
L’essor de l’IA précipite celui de l’Edge Computing
Cette montée en puissance de l’Intelligence artificielle est tout aussi spectaculaire dans un secteur où la connectivité réseau est bien plus problématique que sur un site industriel automobile, c’est le monde de l’offshore. Le secteur «Oil & Gas» s’est converti au monde des algorithmes de Machine Learning via la maintenance prédictive, la disponibilité des équipements étant critiques dans une industrie où un arrêt de l’extraction pétrolière peut coûter jusqu’à 25 millions de dollars par jour… En une dizaine d’années, les algorithmes ont envahi le secteur, tant dans l’exploitation avec le pilotage des installations en mer ou au sol qu’en exploration. Désormais, les têtes de forage sont pilotées par des algorithmes et l’IA est venue relayer les algorithmes de simulation traditionnels dans l’analyse des mesures sismiques. Agora, filiale de Schlumberger, a équipé les puits de pétrole de Cairn Oil & Gas de dynamomètres connectés qui lui permettent de détecter tout écart de fonctionnement par rapport au modèle de Machine Learning. Cet usage du Machine Learning au niveau de chaque puits a permis de déduire de 70% les temps d’arrêt. Un autre cas d’usage du Machine Learning poussé par la filiale de Schlumberger consiste à surveiller les cadrans analogiques des équipements d’extraction sans nécessiter le déplacement d’un technicien. Un algorithme d’IA embarqué dans une caméra va tout simplement lire la valeur pointée par l’aiguille du cadran.
Un rack AWS Outposts, une puissanceUn rack AWS Outposts, une puissancede calcul on-premise managéepar Amazon Web Services, maissur lequel l’entreprise peut déployersimplement des applicationsinitialement développéespour le Cloud public AWS.
Quand l’Edge transforme la ville en «Smart City»
Cette capacité à rendre les caméras «intelligentes» au moyen de l’Edge Computing intéresse tout particulièrement les villes qui se sont dotées d’un réseau de caméras de plus en plus dense et qui nécessite de plus en plus de personnel pour être réellement exploité. Ainsi la municipalité de Nîmes s’est tournée vers Axians et Cisco. « L’idée de l’Edge Computing est de réaliser le traitement d’image au plus près des points de captation, donc des caméras, de manière à avoir un traitement plus pertinent, plus efficace et beaucoup plus éco-responsable en matière d’infrastructure IT », explique ainsi Cyril Yver, directeur du Numérique de Nîmes Métropole et de la ville de Nîmes. Même approche à Las Vegas, qui a commencé à équiper ses feux tricolores de caméras capables d’analyser le trafic pour moduler la durée des feux. Le système mis en place par NTT en 2019 permet de ne pas transmettre les images elles-mêmes, mais uniquement les métadonnées relatives au trafic générées par l’algorithme d’IA, ce qui permet d’écarter toute problématique liée aux données personnelles. Les premiers résultats ont permis d’abaisser de 40% le temps perdu par les automobilistes sur les carrefours équipés. L’objectif à plus long terme est de rendre les algorithmes embarqués auto-apprenants, chaque intersection optimisant progressivement son modèle en fonction du trafic réel.
Ces équipements Edge «Smart City» sont généralement placés dans les armoires de rue mais le déploiement de la 5G fait miroiter un juteux marché aux opérateurs télécom, avec des micro-datacenters opérés au pied de leurs antennes 5G. Ce rapprochement Edge/5G est déjà une réalité avec le service Wavelenght d’Amazon Web Services qui propose une infrastructure de calcul Edge gérée par AWS au plus proche des utilisateurs et directement connectée à un réseau 5G. Les zones AWS Wavelenght se limitent actuellement à dix villes aux États-Unis avec Verizon comme opérateur 5G, à Tokyo et Osaka, au Japon, avec KDDI et enfin à Daejeon, en Corée du Sud, avec l’opérateur SKT. Ce rapprochement suscite un certain intérêt aux États-Unis. Zixi, une start-up, exploite ce service pour délivrer une plate-forme vidéo «software-defined» aux médias qui souhaitent diffuser des contenus vidéo en temps réel. Gordon Brooks, CEO de Zixi, explique son choix d’AWS Wavelenght : « Avec la 5G, n’importe qui peut diffuser un direct jusqu’en 4K. Le gain sur la latence est énorme. Alors qu’une diffusion satellite induit plusieurs secondes de latence, la 5G couplée à AWS Wavelenght réduit cette latence à moins de 30 millisecondes, ce qui change la façon dont on va suivre les événements en direct.»
Bien souvent les industriels déploientBien souvent les industriels déploientdes gateways industrielles dansles ateliers afin de collecter etrenvoyer les données issues descapteurs vers un datacenter central.
L’Edge bien adapté aux spécificités de l’imagerie médicale
La santé est un autre secteur à s’intéresser aux offres Edge Computing d’AWS. L’activité imagerie médicale de Philips met en œuvre les appliances AWS Outposts qu’il déploie dans les établissements de santé. Rich Ridolfo, directeur des opérations chez Philips, explique ce choix d’architecture : « Nous avons développé nos premières applications cloud en 2014 et nous avons pu voir toutes les possibilités que le Cloud public pouvait apporter au secteur de la santé, mais il restait plusieurs défis à relever. Beaucoup d’informations doivent être mises à disposition des médecins dans des délais très brefs.» Avec un modèle 100% cloud public, il est nécessaire de transférer des images de plusieurs Gigaoctets vers le Cloud pour être analysées par les algorithmes d’IA, un délai de quelques secondes à plusieurs minutes, en fonction de la connexion internet de l’établissement de santé. Philips a complété son infrastructure cloud d’une puissance de calcul local en s’appuyant sur l’offre AWS OutPosts afin de résoudre un problème qui peut être tout simplement vital pour le patient. « Nous maintenons aujourd’hui plus de 70000 serveurs répartis sur 12000 sites et tous réclament maintenance, monitoring et mises à jour et doivent délivrer le service. Avec Outposts, nous développons nos applications et les déployons en on-premise de la même façon que nous le ferons dans le Cloud public et nous les gérons avec les mêmes outils cloud. Nous pouvons fournir des vues sur cette infrastructure tant à nos clients, établissements de santé, qu’à nos administrateurs IT.» En jouant sur la complémentarité entre l’infrastructure Edge et le service cloud public, Philips déploie des ressources on-premise chez ses clients sans alourdir d’autant ses tâches d’administration de plate-forme et sans remettre en cause ce que l’industriel a déjà développé pour le Cloud. Le secret d’une stratégie Edge gagnante.
Pouvoir surveiller le fonctionnement à distance d’installations industriellesPouvoir surveiller le fonctionnement à distance d’installations industriellesvia des algorithmes d’IA Edge, ici pour un puits de pétrole suivi par la solutionRod Lift Advisor de Schlumberger/Agora, permet d’optimiserles interventions des équipes de maintenance.