L'heure du quantique

L’heure est aux grandes manœuvres dans l’informatique quantique. Si Google, IBM et Intel trustent la Une des médias avec leurs prototypes, les États et écosystèmes industriels s’organisent pour apporter des alternatives aux entreprises. Qui l’emportera au final ? Article paru dans L'Informaticien n°198 (juillet-août 2021).

L’annonce par Google d’avoir atteint la suprématie quantique en 2019 a eu l’effet d’un électrochoc auprès de nombreux acteurs de l’informatique, des investisseurs mais surtout des politiques. Jusqu’alors considéré comme des travaux de recherche auxquels on n’y comprenait pas grand-chose, le quantique est soudain devenue aux yeux de beaucoup un nouvel eldorado, la nouvelle grande nouvelle révolution informatique et tout le monde veut en être. Côté politique, un bras de fer s’est engagé entre les grandes puissances à coups de milliards. Les États-Unis ont lancé un plan de 625 millions de dollars supplémentaires au-delà des 500 millions annuels déjà investis afin de construire douze centres de recherche en Intelligence artificielle et informatique quantique. Un plan à cinq ans qui fait directement écho au plan quinquennal chinois qui, lui aussi, englobe quantique et IA.

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Emmanuel Macron a annoncé la stratégie quantique de la France le 21 janvier 2021 sur le campus de l’université Paris-Saclay.

La France veut profiter de l’avance de ses chercheurs

La France a réagi, avec l’annonce du Plan Quantique par Emmanuel Macron le 21 janvier 2021 au Centre de nanosciences et de nanotechnologies. Le plan, qui dispose d’une enveloppe de 1,8 milliard d’euros reprend le mécanisme du Plan IA lancé en 2018, impliquant les industriels du secteur dans le cofinancement des projets de recherche. La France, qui compte de nombreux chercheurs et industriels en pointe dans le domaine, mais aussi des start-up et un constructeur de supercalculateurs, Atos, veut jouer dans la cour des grands du quantique et maîtriser une technologie qu’elle juge critique pour sa souveraineté future.

La démarche de l’Allemagne est quelque peu différente. Outre-Rhin, l’informatique quantique doit avant tout être un outil au service de l’industrie. Ainsi, c’est un IBM Quantum One que Angela Merkel, accessoirement titulaire d’un doctorat en chimie quantique et Arvind Krishna, Chairman et CEO d’IBM, ont inauguré au Fraunhofer Institute en juin dernier. Qualifié d’ordinateur quantique privé le plus puissant d’Europe, c’est le premier de ce type à être déployé en dehors des labos d’IBM. Non sans une certaine ironie, le communiqué officiel d’IBM souligne que ce projet va « soutenir l’entrée de l’Europe dans l’ère de l’informatique quantique

L’Europe se met enfin au diapason du quantique

Avec son Plan Quantique, la France veut contrecarrer la vision d’une Europe simple consommatrice de technologies quantiques venues d’outre-Atlantique, une analyse partagée par l’Union Européenne qui avait lancé une première initiative en 2018, avec 20 projets financés dans le cadre du programme Horizon 2021, puis 130 autres projets à partir de 2021 pour un total de 1 milliard d’euros. Trop peu, trop lacunaire ? Dans leur plaidoyer pour un véritable «plan quantique» européen, Nicolas Brien, directeur général de France Digitale et Gérôme Billois, partner chez Wavestone, interpellaient l’Union Européenne dans un texte publié dans La Tribune en novembre 2020. Les auteurs pointaient alors les limites d’une approche essentiellement tournée vers la recherche, avec le risque de voir l’industrie passer à côté de cette révolution. En mars dernier, la vice-présidente de la Commission européenne, Margrethe Vestager et le commissaire Thierry Breton, ont revu leur copie et ont intégré le quantique dans ce qui a été baptisé la «boussole numérique 2030». En clair, les objectifs ont été revus à la hausse : l’Europe doit disposer d’un premier ordinateur «à accélération quantique» d’ici à 2025 et être en pointe dans l’informatique quantique à l’horizon 2030.

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IBM a installé son premier ordinateur quantique en Europe, à Ehningen en Allemagne. Une victoire commerciale importante alors que l’Europe se dote enfin d’une stratégie sur les technologies quantiques.

Les start-up attirent désormais les investisseurs

L’argent public se mobilise enfin pour ne pas laisser les clefs du camion quantique aux Gafam et autres BATX chinois, mais les investisseurs privés entrent aussi dans la partie et la France est plutôt active dans le domaine. Dès 2018, Charles Beigbeder et Christophe Jurczak ont créé Quantonation, un fonds d’investissement dédié au quantique avec déjà une douzaine d’investissements réalisés en Europe et en Amérique du Nord. Avec ces pionniers du quantique, de nombreux investisseurs misent sur les start-up et espèrent décrocher le jackpot. En France, la start-up Alice&Bob a ouvert le bal en mai 2020 en levant 3 millions d’euros. L’entreprise, créée par Théau Peronnin et Raphaël Lescanne, des fans du chat de Schrödinger, dont l’objectif est de réduire le taux d’erreur qui afflige des qubits portés par les supraconducteurs. La solution proposée par Alice&Bob, le qubit de chat, vise à réduire le matériel requis pour la correction d’erreurs « en exploitant le grand espace de Hilbert d’un oscillateur harmonique »… dixit les chercheurs.

Un autre succès notable pour une start-up française fut la levée de fonds de 10 millions de dollars de C12 Quantum Electronics en juin 2021. Les Français ont séduit le fonds 360 Capital, Bpifrance, Airbus Ventures, BNP Paribas Développement, mais aussi un certain Octave Klaba. La start-up a misé sur les nanotubes de carbone afin de porter ses qubits, un matériau qui permet en principe de réduire les interférences et le bruit qui freinent très fortement aujourd’hui l’essor du nombre de qubits dans les calculateurs quantiques.

Au même moment, c’est une autre start-up française qui créait l’événement en levant 25 millions d’euros. Pasqal a notamment séduit Innovation Défense, le fonds d’investissement du ministère des Armées dont il s’agit de la première opération. La promesse de la start-up est forte puisque celle-ci annonce approcher la barre des deux cents qubits en 2021 et dépasser les mille qubits dès 2023. Pour réussir son pari, la start-up mise sur la technologie des atomes neutres, avec chaque qubit porté par un atome unique et manipulé par laser. Alain Aspect, le père de cette seconde révolution quantique fait partie de l’équipe de chercheurs de Pasqal et ceux-ci affirment savoir ordonner de grandes matrices d’atomes en 2D et 3D et pouvoir rapidement livrer des accélérateurs quantiques basés sur cette approche. La start-up compte notamment Atos parmi ses partenaires, de quoi lui ouvrir le marché du HPC. EDF teste déjà la machine pour optimiser l’alimentation des bornes de recharge des véhicules électriques et des accélérateurs Pasqal qui devraient entrer en production en 2023 aux côtés du supercalculateur Joliot-Curie du CEA et dans le centre de recherche nucléaire allemand de Jülich.

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L’imposant accélérateur quantique sur lequel la start-up française Pasqal travaille.

Technologie quantique, rien n’est encore joué

L’argent coule à flot sur les chercheurs et entreprises du secteur quantique, mais aucune technologie ne s’est encore réellement imposée. Google et IBM ont misé sur les supraconducteurs mais les chercheurs sont loin de pouvoir faire fonctionner des machines comptant les milliers de qubits nécessaires pour faire tourner des algorithmes évolués. Miser sur la bonne start-up, la bonne technologie n’est pas aisé dans un domaine aussi peu mature et Microsoft en a fait la douloureuse expérience. L’éditeur a misé sur les travaux du physicien néerlandais Leo Kouwenhoven et le fermion de Majorana que le chercheur prétendait avoir observé en 2012. Très stable, cette quasiparticule était une excellente candidate pour créer des qubits topologiques beaucoup moins sujets aux erreurs que ceux basés sur des supraconducteurs. Ce choix technologique aurait pu conférer à Microsoft une nette avance sur Google ou IBM… si cette particule avait vraiment existé ! En effet, non seulement ces recherches n’ont pas délivré de résultats, mais en mars 2021, Leo Kouwenhoven a dû retirer sa publication pourtant acceptée par la revue Nature, aucun autre chercheur n’ayant pu reproduire ses observations. Pour autant, les qubits à supraconducteurs n’ont néanmoins pas encore remporté la partie. Ceux-ci nécessitent un refroidissement proche du zéro absolu (–273°C), ce qui rend un tel calculateur très lourd à mettre en œuvre d’un point de vue opérationnel car il nécessite un équipement cryogénique associé, or ces composants cohabitent plutôt mal avec les composants électroniques classiques. Honeywell ainsi que IonQ, une start-up américaine qui a déjà levé plus de 80 millions de dollars, misent sur la technique du piège à ions, le qubit était porté par plusieurs ions littéralement piégés par des lasers. Outre un niveau de bruit inférieur, l’avantage de poids de cette approche est de pouvoir travailler à une température plus élevée que celle imposée par les supraconducteurs utilisés actuellement et donc plus simple à exploiter.

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Honeywell mise sur la technologie des ions piégés par laser afin de dépasser les pionniers qui ont misé sur les supraconducteurs pour aligner plus de qubits en dépit de niveaux de bruit très élevés.

Si avec ses ions piégés Honeywell clame depuis juin 2020 disposer de l’ordinateur quantique « le plus puissant au monde », l’Américain ne parvient pas à rivaliser avec Google et IBM en matière de nombre de qubits dans sa machine – on parle d’une dizaine de qubits, contre 53 qubits pour IBM– , Honeywell mise sur des qubits de meilleure qualité, donc avec un taux d’erreur plus faible et une meilleure connectivité entre qubits. Plutôt que de qubit, Honeywell utilise plutôt l’unité de mesure du volume quantique, une métrique composite qui intègre le nombre de qubits, mais aussi les taux d’erreurs et la connectivité entre qubits. Avec un volume quantique de 64, Honeywell estime faire déjà mieux que tous ses rivaux. Cette machine est notamment accessible dans la preview d’Azure Quantum, le service de calcul quantique dans le Cloud d’IBM où l’on peut aussi accéder à une machine à 11 qubits d’IonQ, ou encore au calculateur quantique de Quantum Circuits. Il est possible d’utiliser des supraconducteurs, des ions, mais aussi des photons pour porter un qubit. C’est le pari de Quandela, une spin-off du Centre de nanosciences et de nanotechnologies (C2N-CNRS), laboratoire de l’université Paris-Saclay, mais aussi de PsiQuantum. Cette start-up issue de l’université de Bristol a levé la bagatelle de 230 millions de dollars pour développer ses qubits photoniques. PsiQuantum s’est récemment allié à GlobalFoundry, l’ancien fondeur d’AMD, afin de produire ses puces quantiques, sources de photons et détecteur de son Q1.

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Étape vers l’industrialisation des futurs calculateurs quantiques, PsiQuantum s’appuie sur les Wafer de 300 mm de GlobalFoundries afin de produire sa puce quantique Q1 ainsi que les milliers de sources de photon et de testeurs de photon nécessaires à son calculateur.

Si Google, IBM, Honeywell et une poignée de start-up font la course en tête, tout reste à construire sur ce que les analystes appellent déjà le prochain marché à 1 trillion de dollars. Chaque hyperscaler Cloud est en train de constituer un écosystème de constructeurs de calculateurs quantiques et d’éditeurs de frameworks de développement autour de lui. IonQ est aussi disponible sur la marketplace de la Google Cloud Platform, tandis que Amazon Web Services s’est notamment allié à Rigetti, 1Qbit, Multiverse Computing pour monter une offre quantique.

Les rapprochements entre constructeurs informatiques, acteurs du Cloud et start-up se multiplient ces derniers mois. Atos s’est ainsi rapproché de Pasqal, et il y a quelques jours, Honeywell annonçait la fusion de son activité quantique avec la start-up britannique Cambridge Quantum afin de créer une joint-venture et couvrir tout le stack du calcul quantique, depuis la machine, l’OS et les frameworks de développement. Ces fusions et acquisitions vont se multiplier dans les prochains mois. Quelle que soit la place que prendra ces prochaines années l’informatique quantique dans le paysage IT, l’informatique entre dans une nouvelle ère d’innovation comme après-guerre avec l’essor des grands systèmes, ou avec la micro-informatique dans les années 80.


Les principales technologies en lice pour porter des qubits


  • • Les photons piégés dans des cavités ou se propageant dans le vide ou dans des fibres optiques
  • • les systèmes à atomes chauds ou froids
  • • les systèmes à ions piégés électromagnétiquement ou par lasers
  • • Les systèmes impliquant des spins électroniques ou nucléaires
  • • Les circuits quantiques supraconducteurs ou oscillateurs mécaniques

TÉMOIGNAGE

Neil Abroug, responsable de la stratégie nationale quantique auprès du Secrétariat général pour l’investissement


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« La stratégie quantique de l’État vise à préparer 2030 car les impacts les plus importants sont attendus à cet horizon. Néanmoins ces technologies pourraient potentiellement bouleverser de nombreux secteurs d’activité, dont la chimie, les cosmétiques, le génie des matériaux, la transition énergétique. Les technologies quantiques présentent un fort potentiel. Or, si nous ne maîtrisons pas nous-mêmes ces technologies, il n’est pas certain que nos industriels auront accès à celles développées par d’autres pays. C’est la raison pour laquelle cette stratégie a été mise en place, afin d’acquérir une certaine souveraineté dans ce domaine.

Nous ne partons pas de zéro. Nous capitalisons sur une recherche publique déjà très en pointe dans ce domaine, l’intrication quantique a été démontrée par l’équipe d’Alain Aspect dans les années 80 à l’Institut d’optique d’Orsay et c’est aussi en France qu’on a réussi la première fois à piéger un atome unique avec des lasers. Nous avons une recherche d’excellence. La question aujourd’hui est de transformer le dynamisme de notre recherche en impact économique, que ce soit au travers de la création de start-up ou du transfert de technologie à des acteurs industriels majeurs. Nous avons la chance d’avoir déjà des acteurs industriels fortement impliqués dans ce domaine, comme Thales, Atos, Air Liquide et d’autres. Dès le début, ce plan a été pensé dans une optique de partenariat public/privé avec un cofinancement de projets entre le public et les industriels, sachant que les projets de recherche les plus prospectifs, donc jugés les plus risqués par les industriels, seront portés par la recherche publique et pourront être financés à 100% dans le cadre de ce plan. Il faut être capable de préparer les grandes ruptures de l’après-demain.

Nous nous apprêtons aujourd’hui à lancer ce programme de recherche amont, avec un volet qui porte notamment sur l’équipement des laboratoires de recherche car les chercheurs doivent pouvoir disposer des moyens techniques lourds pour travailler dans les meilleures conditions. À l’automne, nous allons lancer la mise en place une plate-forme d’envergure européenne pour le calcul quantique hybride. En effet, on sait que le quantique va apporter une accélération phénoménale sur certains calculs uniquement. Il y aura toujours besoin de CPU, de GPU, de processeurs d’IA à leurs côtés. Nous voulons mettre en place des machines quantiques hybride accessibles aux acteurs publics et privés de divers types à l’échelle européenne. En effet, des services de calcul quantique sont déjà disponibles dans le Cloud, mais il ne s’agit souvent que d’une seule technologie, ce qui présente le risque de verrouiller les acteurs qui l’utilisent sur cette technologie, et de créer des écosystèmes captifs. Notre objectif est de donner accès à un maximum de technologies quantiques différentes et gagner ainsi en autonomie.

En parallèle nous allons mener des actions dans des domaines comme la cryogénie, une technologie qui est habilitante et indispensable au quantique. Sans cryogénie ou sans laser, pas de calculateur quantique. Un appel à projets dédié à ces sujets sera lancé probablement à la rentrée 2021. Nous aurons ensuite d’autres thématiques notamment liées au développement des usages du quantique, au développement de capteurs quantiques et le développement de réseaux de communication quantiques. »


« La France et l’Europe n’ont pas à rougir face aux acteurs américains »

Olivier Ezratty, consultant et auteur de Comprendre l’informatique quantique *


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L’Informaticien : Les annonces se sont multipliées ces derniers mois, mais en termes de maturité technologique a-t-on beaucoup progressé depuis celle de Google quant à la suprématie quantique ?

 Olivier Ezratty : Les progrès scientifiques et technologiques dans le calcul sont continus et concernent de nombreuses filières de qubits. S’il est vrai que les qubits supraconducteurs n’ont pas significativement progressé depuis l’annonce de Google Sycamore en octobre 2019, des progrès ont été accomplis dans les ions piégés avec IonQ et Honeywell et leurs respectivement 32 et 10 qubits, qui sont de bien meilleure qualité que ceux d’IBM et Google. Des évolutions ont aussi été réalisées en photonique avec des expériences intéressantes d’échantillonnage de bosons chez les Chinois et la création d’un processeur optique par le Néerlandais Quix. Enfin, les travaux de l’équipe d’Antoine Browayes, à l’Institut d’Optique et de la start-up Pasqal, sont très encourageants sur les simulateurs quantiques à base d’atomes froids.

L’Europe et notamment la France semblent avoir compris les enjeux et ne veulent pas laisser passer le train de l’informatique quantique. Quels sont, selon vous, les atouts et faiblesses de la stratégie nationale française face à des acteurs tels que Google, IBM ou Intel ?

OE : D’un point de vue purement scientifique, la France et l’Europe n’ont pas à rougir face à ces acteurs américains. Nous avons une filière de qubits supraconducteurs originale incarnée par la start-up Alice&Bob qui peut faire la différence face à IBM et Google, même si Amazon a fait le choix de s’embarquer dans une voie technologique similaire, inspirée comme celle d’Alice&Bob par les travaux de Mazyar Mirrahimi, à l’Inria. Du côté des qubits silicium, les équipes de Grenoble associant le CEA (Leti, List et IRIG) et le CNRS (Institut Néel) ont adopté une approche intégrative qui n’a rien à envier à celle, concurrente, d’Intel.

La bataille du calcul quantique se situe aussi du côté des outils de développement et, dans ce domaine, IBM a pris une avance certaine en diffusant largement sa bibliothèque de développement Qiskit, y compris auprès de start-up qui développent des ordinateurs quantiques concurrents de ceux d’IBM. 1,8 milliard d’euros sur 5 ans, est-ce assez ? Cet argent public semble avoir enfin éveillé l’intérêt des gros industriels quelque peu frileux jusqu’à aujourd’hui…

OE : À eux seuls, l’Allemagne, la France et les Pays-Bas vont investir plus de 4 milliards d’euros en cinq ans au total. C’est à la hauteur des investissements américains et supérieur aux investissements chinois. Cependant, l’Europe est toujours pénalisée par sa fragmentation culturelle et économique. L’un des enjeux est de créer rapidement, notamment par consolidation, des acteurs européens de poids à l’échelle mondiale.

Plusieurs start-up françaises commencent à lever des fonds. Quel est votre avis sur l’écosystème français vs les autres pays européens, les États-Unis, la Chine ?

OE : Dans le benchmark européen, les start-up françaises commencent à monter en puissance, notamment Pasqal, C12 et Quandela. Les Royaume-Uni reste, comme souvent dans le numérique, en tête du peloton en nombre de start-up et en financement. Nous avons aussi la chance d’avoir des industriels comme Atos, Thales, Air Liquide et Radiall dans les technologies quantiques et les technologies habilitantes. Cela nous donne un équilibre meilleur que celui d’autres pays qui n’ont pas des acteurs de cette taille complétant leurs start-up.

Le 15 juin, Angela Merkel a inauguré le calculateur quantique IBM du Fraunhofer Institute. Est-ce que ça a du sens de s’équiper de telles machines Made in USA et de se calquer sur la course mondiale aux plus gros supercalculateurs ?

OE : C’est une très belle opération de marketing et de communication pour IBM en Allemagne. L’Allemagne a la particularité en Europe de ne pas encore avoir de start-up locale ambitionnant de créer un ordinateur quantique. En pratique, elle se repose pour l’instant sur des acteurs d’autres pays comme IQM (Finlande), IBM, D-Wave (Canada) ainsi que Pasqal (qui va y être installé dans le cadre d’un projet EuroHPC financé par l’Union Européenne). Mais le pays a quelques projets dans les qubits supraconducteurs et silicium associant notamment Infineon au niveau de la fabrication des composants de qubits, mais sans entreprise porteuse de projet.

( *) Septembre 2020, 684 pages, libre d’accès.

 

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