par AFP, le 20 octobre 2020 04:57
Les réseaux sociaux, souvent utilisés pour diffuser des messages de haine, se retrouvent une nouvelle fois sur la sellette après l'assassinat du professeur d'histoire-géo Samuel Paty, mais la peur de toucher à la liberté d'expression rend les initiatives difficiles.
Le Premier ministre Jean Castex a dit mardi vouloir créer un nouveau délit de "mise en danger par la publication de données personnelles" sur internet.
"Nous ne pouvons plus nous résoudre à assister passivement au déchaînement de la haine sur les réseaux sociaux", a-t-il affirmé lors de la séance de questions au gouvernement.
La ministre en charge de la citoyenneté Marlène Schiappa a de son côté annoncé que le gouvernement réactivait "le groupe de contact permanent" mis en place en 2015 avec les principaux réseaux sociaux pour "une mobilisation et une réponse conjointe de l'Etat et des plateformes contre le cyber-islamisme".
Ce groupe de contact avait été créé par Bernard Cazeneuve, alors ministre de l'Intérieur, dans le cadre de la lutte contre la propagande de Daech.
"Je veux que les réseaux sociaux prennent leur responsabilité" pour éliminer les contenus haineux, a-t-elle martelé mardi sur RTL, avant de recevoir les représentants français de Facebook, Google/YouTube, Twitter, Tiktok et Snapchat.
"L'idéologie islamiste", qui a inspiré le meurtre de Samuel Paty, "se propage beaucoup sur les réseaux sociaux", a souligné la ministre. "Il y a toute une série de jeunes qui ne se sont pas radicalisés dans une mosquée, ou en faisant une rencontre, ou en allant en prison. Mais qui se sont radicalisés tout seuls, dans leur chambre, devant un écran de téléphone ou d'ordinateur."
Les professeurs du collège du Bois d'Aulne, collègues de Samuel Paty, ont également relevé le rôle des réseaux sociaux dans une déclaration publiée mardi. Ils n'incriminent pas directement les réseaux dans la mort de leur collègue, mais leur reprochent plutôt la constitution d'une ambiance générale délétère dans les établissement scolaires.
"Nous exprimons notre vive inquiétude face à l'impact des réseaux sociaux. La rapidité avec laquelle l'information est diffusée au plus grand nombre, et son aspect irréversible, sont un véritable fléau dans l'exercice de notre métier", déclarent-ils.
- Faible marge de manoeuvre législative -
La marge de manoeuvre législative du gouvernement et de la majorité est toutefois faible, après l'échec de la loi Avia contre les contenus haineux: elle obligeait les réseaux sociaux à retirer en moins de 24 heures les contenus "manifestement" illicites. Or le Conseil constitutionnel a retoqué le texte en juin, au nom de la défense de la liberté d'expression.
Pour le Conseil, il était impossible d'imposer aux plateformes de faire elles-mêmes le tri entre ce qui est "manifestement" illicite et ce qui ne l'est pas, au risque de les voir supprimer sans nuance tous les contenus qui leur sont signalés.
Les réseaux sociaux comme Facebook, par exemple, voudraient que ce soit le gouvernement, ou la justice, qui désigne explicitement et au cas par cas les contenus à éliminer.
Mardi, les responsables de Facebook France ont en tout cas affirmé la volonté du géant américain de "dialoguer et renforcer encore plus la collaboration avec les autorités, dont nous soutenons les efforts de toutes les manières possibles".
"Nous ne cessons de renforcer nos règles" face aux contenus haineux "et avons massivement investi pour renforcer nos équipes et développer des technologies visant à éradiquer la haine sur nos plateformes et à bâtir un internet plus sûr", a affirmé l'entreprise dans une déclaration transmise à la presse.
Pour un certain nombre d'experts, aucune solution ne pourra être trouvée sans que les plateformes internet n'endossent une certaine part de responsabilité légale pour les contenus qu'elles diffusent, analogue à la responsabilité éditoriale en vigueur pour la presse.
Ils espèrent que la future directive européenne sur les services numériques ("Digital Services Act"), en préparation par la Commission européenne, permettra d'avancer en ce sens.
Source : AFP - Laurent BARTHELEMY