La saisine par des syndicats et associations n’y aura rien fait : l’Intérieur pourra ficher et surveiller “opinions politiques”, “convictions philosophiques, religieuses” ou “appartenance syndicale” en cas de menace à la sécurité publique. Edvige renaît de ses cendres dans l’indifférence générale.
La sûreté de l’État et la sécurité publique pourront désormais servir de prétexte à la surveillance des appartenances syndicales, des convictions religieuses et des opinions politiques. C’est le sens des décrets publiés le 4 décembre dernier par un ministère de l’Intérieur qui, sur ces sujets, privilégie le passage en force. Avec l’assentiment donné lundi par le Conseil d’État.
Saisie en référé, la plus haute juridiction administrative a en effet rejeté les recours de la CGT, de FO, du FSU et de quelques associations visant les fichiers PASP (prévention des atteintes à la sécurité publique), relevant de la police, GIPASP (gestion de l’information et prévention des atteintes à la sécurité publique) du côté de la gendarmerie et EASP (enquêtes administratives liées à la sécurité publique).
Fichage politique
Ces trois fichiers sont les héritiers d’Edvige (exploitation documentaire et valorisation de l’information générale) qui en 2008 prévoyait de ficher notamment toute personne affichant une activité politique ou syndicale. La levée de bouclier fut telle que le gouvernement de l’époque fit machine arrière, concédant de ne recenser que les activités. Ces décrets du 4 décembre font sauter cette digue en élargissant les champs pouvant être intégrés dans la surveillance policière.
Ainsi, les “activités sur les réseaux sociaux” ou encore les “identifiants utilisés” (sauf mots de passe précisent les trois décrets) ainsi que les “données relatives aux troubles psychologiques ou psychiatriques” peuvent être renseignés dans ces fichiers par policiers ou gendarmes. Surtout, si cette collecte ne pouvait couvrir auparavant que “des activités politiques, philosophiques, religieuses ou syndicales”, les décrets l’étendent aux “opinions politiques”, “convictions philosophiques, religieuses” ou “appartenance syndicale”.
Des points qui ne faisaient pas partie des projets de décrets déposés par le gouvernement auprès de la Cnil pour examen en juin 2019. Comme le souligne le gendarme des données personnelles, dont les avis étaient mitigés, “si la collecte de données relatives à « des activités politiques, philosophiques, religieuses ou syndicales » était déjà prévue, les nouveaux décrets font désormais référence non plus aux « activités » mais aux « opinions » politiques, aux « convictions » philosophiques, religieuses et à l’« appartenance » syndicale. Elle ne s’est pas prononcée sur cette modification, qui ne figurait pas dans le projet qui lui avait été soumis”.
Pas attentatoire aux libertés
Et ce alors qu’elle estimait en juin que les périmètres de certaines catégories de données, l’activité sur les réseaux sociaux par exemple, étaient trop étendus et rédigés de manière particulièrement permissive. De quoi effectivement faire enrager les syndicats, de même que la Quadrature, qui se sont portés devant le Conseil d’État, pour être déboutés. En référé, le juge a en effet considéré que ces nouvelles dispositions du code de la sécurité intérieure n’étaient pas attentatoires aux libertés. Ou du moins qu’elles ne constituent pas une atteinte disproportionnée.
A l’instar de l’avis de la Cnil en juin, le Conseil d’État estime que l’exécutif a prévu les garde-fous nécessaires, notamment en restreignant la collecte de données aux seules activités “susceptibles de porter atteinte à la sécurité publique ou à la sûreté de l’Etat”, interdisant un fichage sur la seule base d’une appartenance syndicale ou d’une conviction religieuse.