Les nouvelles stars

Pour la plupart, vous ne connaissez même pas leurs noms. Elles occupent pourtant le devant de la scène dans des domaines aussi variés que le covoiturage, les locaux de travail partagés, les jeux en ligne, le stockage des données, l’Internet des Objets…

Les lecteurs de L’Informaticien en savent davantage que ceux de la plupart des publications plus généralistes. De qui parle-t-on ? De l’animal bizarre connu sous le nom de licorne et dont la prolifération est à l’inverse de sa légende. Ce sont les véritables nouvelles stars de l’industrie et elles cumulent l’innovation et la valorisation de l’entreprise. Rien qu’en 2019, 119 compagnies ont passé le seuil du milliard de dollars de valorisation.

Aux côtés des Uber ou Lyft ou encore Pinterest, tous entrés en Bourse récemment, s’ajoutent des PagerDuty, Asana, Netskope, Troops.ai, Donut… Pour la plupart vous ne savez même pas ce que ces entreprises font ou apportent. Elles sont cependant le nouveau baromètre de la santé de l’industrie IT et leur évolution est suivie à la loupe par les analystes et pas seulement financiers. Elles forment la nouvelle vague d’une industrie qui s’appuie sur le service, le Cloud, l’Intelligence artificielle et qui propose de changer totalement nos manières de vivre ou de travailler : 25 % ont pour activité le service ou le logiciel, 13 % sont dans l’e-commerce et 10 % apportent de nouvelles technologies dans le secteur de la finance ; 6 % d’entre elles ont dépassé une valorisation de 10 milliards de dollars et 30 % sont juste au milliard.

Une nouvelle carte mondiale de l’innovation

Si les États-Unis tiennent encore la tête avec près de la moitié des licornes recensées (48 %), la Chine vient ensuite avec 30 % de licornes. Ce pays a détrôné les States pour avoir l’entreprise la plus valorisée dans le monde, ByteDance, après une injection de fonds de SoftBank, qui la valorise à 75 milliards de dollars. ! Ce Facebook à la chinoise propose aussi un service de vidéos courtes que peuvent poster les 500 millions d’utilisateurs de la solution. Tioutiao, le second produit de l’entreprise, est un agrégateur de news avec un fil personnalisé de recommandation de contenu et revendique 120 millions d’utilisateurs. La solution n’est pas présente en Europe. Uber est juste derrière et précède Didi Chuxing, WeWork et Juul Labs.

Le Royaume-Uni vient ensuite avec 5 % et l’Inde avec 4 %. Le RoyaumeUni profite d’un contexte favorable dans le secteur de la finance et la plupart des jeunes pousses anglaises sont dans ce secteur. Pour la France, le constat est cependant pauvre : seules quatre entreprises se glissent dans ce classement des licornes. Ce sont Deezer, OVH, Doctolib et Blablacar. Pour un pays qui se veut le pays des start-up, il y a comme un retard à l’allumage ou le sempiternel problème de faire des champions dans notre pays. Les entreprises françaises qui sont dans ce classement n’ont rien demandé aux pouvoirs publics et n’ont pas été beaucoup aidé pour arriver où elles sont. Pourtant l’Europe ne s’en sort pas si mal Avec 160 entreprises dont 110 en Bourse. Quatre d’entre elles ont d’ailleurs rejoint le classement : Veeam, Luxoft, Collibra et eMag. Cette dernière est roumaine.

Il est ainsi loisible de voir comment les rapports de force nouveaux se dessinent. Si les États-Unis conservent encore un leadership, la Chine fait plus que s’éveiller et menace déjà de s’emparer de ce rôle prééminent dans les technologies. Des pôles de spécialisation apparaissent comme la fintech au Royaume-Uni ou dans le logiciel en Inde.

On peut constater que la diffusion de l’innovation se généralise et que de nombreux pays prennent part à la course. Qui pouvait penser que le Luxembourg ou la Roumanie créeraient des licornes ?

D’autres pays comme Israël semblent moins présents mais c’est un effet en trompe l’œil car de nombreuses start-up israéliennes deviennent rapidement des entreprises « américaines » après des levées de fonds auprès des ventures d’outre-Atlantique.

Du vent et encore du vent !

Mais cette situation aura encore être masquée par le grand raout qu’est VivaTech, où une fois de plus l’autosatisfaction et le déni vont l’emporter sur la réalité, le volume du nombre des start-up présentées sur la qualité de celles qui vont survivre plus de trois ans et auront la possibilité de devenir un champion dans sa catégorie. Et tout le monde de s’autocongratuler et de communiquer autour du succès de la manifestation et de la liste longue comme le bras d’intervenants – dont je fais le pari que vous n’avez jamais entendu leur nom – avant d’être érigé en gourou de la nouvelle économie sur les cartons d’invitation ou le programme de l’événement.

En fait les licornes font mieux vivre ceux qui les conseillent ou qui parlent d’elles. Les sommes qu’elles dépensent en communication et marketing dès leurs premiers pas seraient plus efficacement dépensées en création d’un véritable produit et non d’un MVP (minimum viable product). La plupart des entreprises qui ont réussi à entrer dans le Top des licornes ont passé beaucoup de temps sur la conception et la définition de leur produit. Elles n’ont pas forcément recherché la lumière tout de suite. Elles sont souvent restées en mode secret pendant des mois voire des années. Elles ne se sont lancées qu’une fois certaines de leur force et de la qualité de leurs produits et avec une réserve d’argent suffisante pour attaquer le marché. Le projet devait être assez solide pour attirer de réels talents ou des personnalités reconnues de l’industrie et des cadres expérimentés à même de renforcer leurs capacités de développement. Les entreprises présentées lors de VivaTech ont-elles ce profil ? Certaines l’ont peut-être mais la masse est loin d’avoir les capacités requises à un développement autre que celui de vivre de subventions à fonds perdus ou de crédits qui ne seront jamais remboursés.

Les entreprises dans le classement des licornes, celles qui le dominent, ont été largement surcapitalisées et ont véritablement déstabilisé des secteurs d’activité entiers. À partir de ce constat il sera peut-être possible de créer de nouvelles licornes dans notre pays sans forcément retourner voir la pièce Embrassons-nous, Folleville !