Qualifiée de « Uber de la photographie », la start-up française Meero poursuit sa croissance fulgurante avec une récente levée de fonds de 230 millions de dollars. Son succès, elle le doit à une technologie de retouche d’images ultra-rapide, capable de traiter un reportage complet en quelques minutes. Basés sur des briques d’IA, ses algorithmes ont « appris » à traiter les photos comme le ferait un professionnel de l’image. Une techno qui pourrait bientôt être accessible aux particuliers.
Comment livrer des reportages photo de qualité homogène, partout dans le monde, en moins de 24 heures ? « Seule l’Intelligence artificielle permet de relever ce défi. C’est grâce à l’IA que nous avons pu automatiser la retouche d’images, une opération qui peut prendre plusieurs heures lorsqu’elle est faite à la main. Sur notre plate-forme, le traitement d’un reportage complet ne prend que quelques minutes », explique Jean-François Goudou, chef de la R & D chez Meero.
La jeune pousse a eu l’idée d’injecter de l’IA dans la retouche d’image en 2016. Depuis, sa croissance est fulgurante. La start-up revendique plus de 31 000 clients dans une centaine de pays. Il s’agit notamment de voyagistes en ligne, comme Booking ou Expedia, des sites de restauration, tels que Deliveroo, ou des sites d’agences immobilières. Ces acteurs ont besoin d’images basiques mais de bonne qualité pour vendre leurs produits. Il s’agit de clichés de chambres d’hôtel, de plats de restaurant ou d’appartements à vendre. Pour réaliser ces reportages, Meero travaille avec plus de 58 000 photographes. Une communauté mondiale qui permet à la plate-forme de livrer un reportage toutes les 25 secondes.
Seule à proposer ce type de prestation sur le marché, la jeune pousse présente un potentiel commercial qui n’a pas échappé aux investisseurs. En juin dernier, Meero a levé 230 millions de dollars durant son troisième tour de table, totalisant 300 millions de dollars d’investissement depuis sa création. La start-up est ainsi entrée dans le club très fermé des « licornes », ces entreprises innovantes valorisées à plus de 1 milliard de dollars. Grâce à ces financements, elle recrute à tour de bras. De six cents salariés, elle devrait passer à 1 200 collaborateurs avant la fin 2019. L’objectif est également d’optimiser ses algorithmes de retouche d’image, pour qu’ils gagnent encore en performance. « La technologie nous est essentielle et constitue l’une des bases de notre activité qui vise à “ disrupter ” le monde de la photo », souligne Thomas Rebaud, fondateur de Meero. « Elle nous permet à la fois d’aller plus vite, car grâce à elle nous sommes en mesure d’automatiser une partie des tâches répétitives et fastidieuses qui font partie du métier de photographe, mais aussi d’avoir des relations simplifiées avec nos clients grâce à notre plate-forme dédiée et intégrée ».
Exemple de traitement d'image hôtelière par la plate-forme Meero (avant / après) à destination des sites de voyages.
Hébergée sur le Cloud d’Amazon
Comment fonctionne la plate-forme Meero ? Tout d’abord, avant d’être un outil de retouche d’image, il s’agit d’un service de mise en relation entre des entreprises et des photographes. Les entreprises postent des commandes de reportages sur la plate-forme : « Besoin d’un shooting de tel hôtel, pour tel jour. » La demande est alors envoyée à des photographes sélectionnés pour leur localisation géographique et leurs compétences. Ensuite, les photographes prennent les clichés, qu’ils exportent sur la plate-forme. Cette dernière assure également les paiements. « Ce n’est pas si simple, car nous devons gérer un grand nombre de monnaies, de taxes et de time zones. Techniquement, cette internationalisation dans plus de cent pays a été un challenge », souligne Joyd Sousa, CTO de Meero.
En back-office, la plate-forme repose notamment sur le framework Symphony 3, et sur Amazon Aurora, moteur de base de données relationnelle compatible avec MySQL. Le matching entre les photographes et les clients exploite quant à lui ElasticSearch, dont l’un des avantages est « d’être AWS managé », explique-t-on chez Meero. Car la start-up héberge 100 % de sa plate-forme sur le Cloud d’Amazon. « C’est le leader du secteur. Amazon S3 offre d’excellentes performances, une scalabilité très rapide et une présence internationale », poursuit Joyd Sousa.
Initialement, les photographes exportaient leurs reportages sur les serveurs de Meero qui se chargeaient ensuite de les transférer vers AWS. Mais depuis un peu plus d’un an, le transfert des photographies s’effectue directement sur le Cloud d’Amazon, tout comme le téléchargement des clients. « Nous ne réalisons plus que l’authentification des utilisateurs depuis nos serveurs. Nous avons ainsi gagné en performances, car un reportage peut peser très lourd. Un shooting en 4K peut parfois grimper jusqu’à 400 ou 500 Go ! La gestion de l’hébergement mais aussi du transfert de ces données est donc cruciale », souligne Joyd Sousa.
Colorimétrie, géométrie et HDR
Les photographes exportent leur reportage en vrac, sans classer les photos ni les retoucher. Tout le post-traitement est pris en charge par la plate-forme, ce qui permettrait de gagner entre trois et quatre heures de travail fastidieux, assure-t-on chez Meero. Une fois les photos réceptionnées, la plate-forme va commencer par les classer. « Nos algorithmes vont regrouper les photos en fonction du sujet photographié, par exemple une chambre ou un plat. Ensuite, ils vont fusionner les photos similaires ayant une exposition lumineuse différente. Nous demandons en effet à nos photographes de prendre plusieurs clichés identiques mais avec différentes expositions afin que tous les détails puissent être rendus visibles », confie Jean-François Goudou. Il s’agit ici de la technique HDR (High Dynamique Range), bien connue des photographes professionnels comme amateurs. Cette technique offre un rendu de très bonne qualité en mélangeant plusieurs photos (3 clichés au minimum) d’une scène identique, mais avec des expositions différentes. En les fusionnant, la photo finale est censée présenter l’exposition optimale pour l’ensemble des éléments qui la compose. Les détails des zones les plus sombres comme les plus claires peuvent ainsi être affichés.
Sur chaque image, une demi-douzaine d’opérations sont appliquées : colorimétrie, fusion HDR, recadrage, exposition...
L’IA de la plate-forme poursuit son traitement par la colorimétrie en travaillant notamment sur la balance des blancs. Cette étape vise à donner plus de vivacité aux couleurs mais aussi à conférer une certaine homogénéité aux images, afin que l’ensemble du reportage soit cohérent. Si nécessaire, un traitement géométrique est également réalisé afin de corriger la déformation des lignes verticales causée par les prises au grand-angle, ce qui est très courant dans la photographie immobilière ou de voyage. Un léger recadrage est parfois également intégré au processus. Notons que le traitement porte sur l’ensemble de l’image, sans prise en compte d’éléments spécifiques, comme un canapé, un lit ou une table. « Cela nécessiterait du détourage automatique d’objets, ce qui serait beaucoup trop complexe », indique-t-on chez Meero. Pour gagner en performances, la plate-forme ne traite pas toutes les images de la même façon. Elle exploite plusieurs paramétrages prédéfinis, baptisés « set de retouche ». Chaque typologie de clients dispose de son propre « set ». Il existe ainsi un set de retouches pour les photos immobilières et de voyage, un autre pour le culinaire et encore trois sets, pour le « Life Style », le « corporate » et l’e-commerce.
Grâce à la levée de fonds de 230 millions de dollars, Meero compte faire passer ses effectifs de 600 à 1200 collaborateurs avant la fin 2019.
Des photos vendeuses mais pas truquées
La plate-forme de Meero doit produire des photos réalistes, au plus proche de ce que verrait l’œil humain. « Même si le but est de mettre en valeur les produits de nos clients, nos photos doivent rester fidèles à la réalité. Il ne s’agit en aucun cas de photos truquées », tient à souligner Jean-François Goudou. Pas d’artifices pour rendre le ciel trop bleu ou la mer trop turquoise : « Il ne s’agit pas de photos flashy, mais d’images belles à regarder, avec un ton juste, ce qui est bien entendu très subjectif. » Pour que les algorithmes de la plateforme soient capables de trouver ce « ton juste », ils ont analysé plusieurs dizaines de millions de photos grâce à des fonctions de machine learning. « Nous nous sommes basés sur l’expertise de véritables éditeurs et retoucheurs d’images, dont c’est le métier. Ils continuent d’ailleurs de travailler pour la plate-forme, car il y a toujours un contrôle humain en fin de processus », poursuit Jean-François Goudou. Dans certains cas, les retoucheurs humains peuvent effacer des éléments gênants du décor, comme par exemple une poubelle dans un jardin ou un tuyau d’arrosage non rangé. Mais cela reste marginal.
L’apprentissage des algorithmes continue bien entendu au fur et à mesure que de nouveaux reportages sont traités par la plate-forme. Chaque semaine, les algorithmes sont mis à jour grâce aux fonctions de machine learning. Près de 95 % des traitements sont déjà jugés corrects. Mais il demeure parfois des halos ou des crénelages sur certains contours d’objets. Même si ces défauts ne sont pas toujours visibles, Meero entend bien les corriger avec les futures versions de ses algorithmes.
Notons que la technologie de Meero est le fruit d’un « gros développement interne », basé tout de même sur des briques open-source existantes, comme le framework TensorFlow, outil de machine learning développé par Google.
Une plate-forme bientôt ouverte aux particuliers
Au-delà de l’optimisation de sa technologie, Meero compte poursuivre sa croissance en attirant de nouveaux clients et utilisateurs. « L’e-commerce est un des domaines que nous explorons depuis quelques mois. C’est un marché où les grands acteurs disposent déjà de leurs studios photo. Nous nous positionnons sur ce marché, là où les besoins ne sont pas encore couverts », confie Jean-François Goudou.
« Dans les mois à venir, nous proposerons de nouveaux services et outils à l’usage de nos photographes et nous ouvrirons également nos prestations aux particuliers », confie Thomas Rebaud. Selon le fondateur de la start-up, la technologie de retouche d’images pourrait en effet intéresser les particuliers. Les modalités et le calendrier de cette ouverture au grand public ne sont cependant pas encore finalisés. En attendant, les particuliers pourront très prochainement devenir « clients » de la plate-forme. Ils pourront, comme les entreprises, commander des images auprès des photographes professionnels. Il s’agira notamment de couvrir des mariages, baptêmes et autres événements personnels, conclut-on chez Meero.
Meero en chiffres
► 1 reportage livré dans le monde toutes les 25 secondes
► 31 000 clients dans plus de 100 pays
► 58 000 photographes partenaires
► 600 salariés de 49 nationalités
► 5 bureaux : Paris, New-York, Shanghai, Tokyo et Bangalore
► 300 millions de dollars de financement depuis 2016