Les freelances en informatique comme les développeurs full stack, les chefs de projets web, les ingénieurs réseau ou encore les spécialistes de la cybersécurité sont particulièrement recherchés. Le phénomène est tel qu’il a fait naître une myriade de nouvelles plates-formes spécialement dédiées à ces métiers.
Favorisé par les dernières réformes du Code du travail, le marché de l’entrepreneuriat explose dans l’Hexagone, qui compte désormais plus de 3 millions de travailleurs indépendants. Que cela soit dans le cadre d’une activité principale ou pour compléter des revenus, ils sont de plus en plus nombreux à proposer leurs services via des plates-formes généralistes de mise en relation comme Upwork ou Malt (ex Hopwork). La montée en puissance de l’externalisation du travail n’est pas seulement due à une offre de plus en plus conséquente, mais également à une demande croissante des entreprises qui n’hésitent plus à faire appel aux indépendants pour leur confier tous types de missions via ces plates-formes.
En plein essor, les plates-formes généralistes de mise en relation ou spécialisées par métier pullulent sur le Web. Pionnière du secteur, la plate-forme généraliste américaine oDesk (rebaptisée depuis Upwork) qui a été créée en 2003 domine toujours très largement le secteur. Bien qu’elle soit uniquement en anglais, elle propose des opportunités de travail pour les freelances dans le monde entier, y compris dans les pays francophones. Elle doit toutefois faire face à une concurrence de plus en plus féroce avec l’arrivée de plates-formes spécialisées par métier -Codeur, Crème de la Crème, Malt, Freelance Informatique, etc., mais également des mastodontes comme Viadeo et LinkedIn qui ont investi le secteur avec leurs services respectifs Freelance et Profinder.
Tous les feux sont au vert pour ce type de services qui répond à une offre et une demande de plus en plus forte sur le marché en pleine mutation de l’entrepreneuriat. Pour Thibaud Droin, directeur général de Freelance Informatique, le succès des plates-formes de mise en relation entre les indépendants et les clients est dû à plusieurs facteurs : « Le marché se développe fortement depuis 2014/2015, tant en volume de freelances qu’en clients souhaitant faire appel à ce type de modèles. Au-delà de cette forte tendance, on sent que comparé à il y a 10 ans où la motivation était principalement financière, les intervenants se lancent en Freelance majoritairement pour choisir leurs missions – intervenir dans le domaine technique ou le secteur d’activité qui leur plaît, en développant leurs expertises selon leur vision des choses –, et avoir la maîtrise de leur rythme de travail, notamment pour trouver un meilleur équilibre de vie personnelle et professionnelle. En pratique, l’aspect économique reste important, mais il est maintenant combiné avec des facteurs de motivation plus personnels et individualisés. »
Avantages et inconvénients
Les plates-formes possèdent de nombreux avantages pour les indépendants. Ils peuvent en effet gagner beaucoup de temps en prospection et s’appuyer sur les informations recueillies par ces services sur les entreprises qui proposent des missions, mais également sur les avis laissés par les autres utilisateurs. Certains de ces services deviennent aussi des tiers de confiance en garantissant les transactions financières entre les prestataires et les clients. Dans ce cas, les entreprises effectuent les règlements directement à la plate-forme qui se charge ensuite de les reverser aux freelances une fois qu’ils ont terminé leur mission. Un système de rémunération rassurant pour les deux parties permettant d’éviter les impayés et qui a déjà fait les beaux jours d’autres services comme AirBnb dans le domaine de la location de logements entre particuliers.
Rémi Doolaeghe, développeur full stack, témoigne des avantages et des inconvénients de travailler en direct avec un client ou de passer par un intermédiaire : « Un freelance a deux options quand il recherche un client pour signer un contrat. Il peut passer par un intermédiaire ou traiter en direct avec son client. Passer en direct signifie que le contrat de prestation est signé à la fois par le freelance et par le client. Cette méthode offre l’avantage de pouvoir ajuster les clauses et conditions du contrat plus facilement. Néanmoins, dans le monde de l’IT, c’est le passage par l’intermédiaire qui prédomine. Essentiellement parce que trouver un client par soi-même est difficile ; cela nécessite de passer du temps en prospection et d’avoir des compétences commerciales – ce que les freelances n’ont généralement pas, puisque leur domaine d’expertise est ailleurs. De plus, la vaste majorité des clients de grande taille, qui sont donc à même d’avoir leur propre service IT, recourent uniquement à des sociétés référencées. C’est un processus difficilement accessible à un freelance isolé. C’est une des raisons d’être des intermédiaires, qu’ils soient ESN – anciennement SSII –, apporteurs d’affaires ou plates-formes en ligne. »
Différents systèmes de rémunération
Ces services qui se disent gratuits pour la plupart ne le sont pas vraiment. Le leader du marché Upwork ponctionne par exemple 20 % de frais sur les missions de moins de 500 €, 10 % pour celles comprises entre 500 et 10 000 €, et 5 % au-delà de 100 000 €. À noter que le site applique un système de tarifs dégressifs sur l’ensemble des missions réalisées entre un indépendant et un client.
Avec d’autres services comme Codeur qui s’adresse principalement aux développeurs et administrateurs système, la création d’un compte prestataire est gratuite, mais il faut souscrire à un abonnement (à partir de 29 € HT) pour pouvoir contacter un certain nombre de client par mois. De plus Codeur ponctionne encore 4 % de commission sur le montant de la facture.
Entièrement dédié aux développeurs de tout poil, WeLoveDevs (ex-« jechercheundev ») applique des conditions radicalement différentes en faisant payer des abonnements non pas aux indépendants, mais aux entreprises en recherche de développeurs. « WeLoveDevs apporte la mise en contact directe, sans intermédiaire. On pourrait considérer la plate-forme comme un intermédiaire, mais ce n’est pas réellement le cas. La partie contractuelle n’est pas dans leur périmètre. À ce titre, le freelance n’a aucune commission à verser à la plate-forme en cas de signature de contrat. Cela permet généralement au client et au freelance de se “ partager ” la commission qui serait reversée à un intermédiaire dans un cadre plus classique. Le freelance est mieux payé et le client a un tarif plus réduit », précise Rémi Doolaeghe qui utilise assidûment la plate-forme.
La plate-forme Crème de la crème, qui met en contact des freelances informatiques (consulting, design, marketing digital…) triés sur le volet avec des entreprises, s’octroie une commission de 18 % pour chaque transaction réalisée via sa plateforme. À charge pour elle de gérer la partie contractuelle et d’effectuer les virements bancaires aux freelances une fois leur mission terminée.
La plate-forme Freelance Informatique qui revendique plus de 96 000 freelances en informatique inscrits demeure entièrement gratuite pour ces derniers. Différents forfaits sont proposés aux entreprises clientes pour accéder aux profils des intervenants et être mis en relation avec eux. « Il existe trois types d’accès pour les entreprises : un accès gratuit qui permet de déposer une offre et consulter anonymement les profils, un accès payant PME et SSII qui offre la possibilité de déposer des projets et solliciter directement les freelances sélectionnés, et un accès grands comptes comprenant les mêmes fonctionnalités que l’accès PME et SSII avec en sus des fonctionnalités sur mesure si le volume le permet. Selon les options choisies, l’entreprise peut soit contracter directement avec l’intervenant, soit demander à ce que le paiement transite par Freelance Informatique pour simplifier sa gestion – les grands comptes ont des processus complexes qui sont peu adaptés aux freelances dont le métier n’est pas la gestion administrative », explique le dirigeant de la plate-forme Thibaud Droin.
La fameuse plate-forme Malt qui repose sur un système de réputation des freelances en informatique demande une commission de 10 % sur le montant des prestations. Ce tarif devient dégressif et passe à 5 % après trois mois de collaboration entre un client et un freelance. Rémi Doolaeghe, développeur full stack freelance relate les différents modèles de rémunération : « Malt a recours à une commission imputée sur la facturation du freelance à son client, là où WeLoveDevs reste gratuit pour une prestation. Cette commission se justifie par le fait que Malt gère le contrat et la facturation, garantissant une certaine sécurité au freelance. »
Les modèles économiques varient donc grandement d’un site à l’autre et peuvent représenter dans certains cas un investissement non négligeable. Même en souscrivant aux services premium, les freelances n’ont aucune garantie d’obtenir une mission.
La jungle des platesformes en ligne
Face à la recrudescence de l’offre de plates-formes, il n’est pas évident de savoir laquelle choisir. Il est indispensable de décortiquer leurs modes de fonctionnement et leurs conditions pour éviter les mauvaises surprises. D’autant que la concurrence est rude entre les indépendants qui s’inscrivent souvent sur plusieurs plates-formes pour maximiser leurs chances de décrocher des missions. Outre les plates-formes généralistes qui référencent tous les types de profils, elles sont de plus en plus nombreuses à se spécialiser dans un ou plusieurs domaines d’activités bien précis : développeurs (WeLoveDevs, Codeur…), chefs de projets, administrateurs système, consultants (Freelance Informatique, Malt…), etc. Cette sectorisation facilite la prospection aussi bien pour les indépendants que pour les entreprises. Elle permet également aux freelances de bénéficier de nombreux contacts au sein de leur communauté. Il faut savoir que certaines plates-formes peuvent s’adresser aussi bien à de petites entreprises qu’à des acteurs du CAC 40, tandis que d’autres ciblent la mise en relation uniquement avec des start-up, par exemple. Des acteurs comme Freelance Informatique privilégient des missions de moyenne et de longue durée sur site avec des entreprises issues de secteurs sensibles comme les banques ou les assurances. Kang, Malt, ou encore Crème de la crème proposent plutôt des missions courtes en télétravail. En fonction des plates-formes, les freelances peuvent s’inscrire sans frais, mais doivent payer ou souscrire à un abonnement pour que leur profil soit mis en avant ou pour pouvoir répondre à un certain nombre d’offres. La note peut vite grimper sans aucune garantie de résultats pour le freelance.
Un service comme Creads va jusqu’à mettre sa communauté de créatifs en compétition pour réaliser les projets de ses clients. Pour le moins gâtés, ces derniers n’ont plus ensuite qu’à sélectionner la réalisation de leur choix et n’en payer qu’une seule sur les dizaines reçues ! Seuls les freelances qui ont fait leurs preuves sur ce type de plates-formes peuvent se voir ensuite proposer des projets en compétition avec un nombre beaucoup plus restreint de candidats. Comme son nom l’indique, le service 5euros propose quant à lui des missions à un prix d’appel de seulement 5 €. C’est loin d’être un cas isolé, car de nombreuses platesformes, dont le leader Upwork, draguent leurs clients en leur promettant des tarifs excessivement bas. Certaines plates-formes commencent à imposer à leurs freelances d’appliquer un tarif journalier minimal pour limiter les dérives de ce type.
« Rester maître de son destin ! »
Thibaud Droin, directeur général de Freelance Informatique.
« Les freelances demandent de plus en plus à être acteurs. C’est-à-dire qu’il y a quelques années, ils nous voyaient uniquement comme une société de services qui leur trouvaient une mission. À présent, ils sont un peu plus acteurs avec tout l’élan du freelance moderne, ils ont une vision de leur métier qui est différente. Lorsqu’on leur proposait une mission il y a une dizaine d’années, ils la prenaient ou ne la prenaient pas en se basant sur des critères basiques tels que le lieu, les tarifs, etc. Aujourd’hui, ils prennent en compte les contenus de projets, ou encore les aspects technologiques. On sent qu’ils ne deviennent pas forcément freelances sur des critères économiques, mais vraiment parce qu’ils donnent une véritable orientation pour choisir leur mission, pour être uniquement dans un domaine d’expertise technique, etc. Le volume des freelances et l’intérêt des entreprises pour ces derniers augmentent de manière significative, mais l’approche même des freelances a beaucoup évolué. Même si le marché du travail a aussi changé, les gens cherchent de plus en plus à être maîtres de leur destin et l’entrepreneuriat représente pour eux une manière comme une autre d’y parvenir. Si vous êtes ingénieur en informatique et que vous avez un patron, vous n’allez pas choisir les technologies et les projets sur lesquels vous allez travailler. Si vous êtes freelance, vous êtes en capacité d’accepter certains projets ou d’en refuser d’autres et même de n’accepter que des missions dans un domaine d’expertise dans lequel vous souhaitez vous spécialiser. Le marché du travail est tellement favorable aux intervenants qu’ils peuvent se le permettre. »
« Les profils les plus recherchés sont les compétences en Java et JavaScript »
Damien Cavaillès, développeur, co-fondateur et dirigeant de WeLoveDevs.
« Étant développeur moi-même, j’avais constaté que le marché était tendu et que l’expérience pour trouver un travail qui nous plaît n’était pas satisfaisante. Pour créer notre service, j’ai passé beaucoup de temps avec mon associé qui est également développeur à rencontrer des recruteurs et des professionnels de l’industrie pour essayer de comprendre comment on peut apporter de la valeur d’une façon nouvelle dans le domaine du recrutement. Sur notre plate-forme, ce sont les entreprises qui fournissent des contenus vidéo afin d’expliquer pourquoi les développeurs sont heureux chez eux. D’un côté, nous avons des start-up et des petites entreprises, et de l’autre des clients très grands comptes comme Axa, par exemple. On les encourage à être très transparents et donner la parole à leurs collaborateurs pour que les développeurs inscrits chez nous puissent se projeter dans leurs entreprises et aient envie d’être candidats. On fait en quelque sorte le marketing du recrutement. Les profils les plus recherchés en ce moment en France sont les développeurs qui ont des compétences en Java et JavaScript. Actuellement, on fait plus de 200 recrutements par mois. »
« C’est aux entreprises de convaincre les devs ! »
« Cela fait trois ans que j’utilise WeLoveDevs, ex-jechercheundev, et la plate-forme plus la communauté qui va avec m’apportent 80 % de mes clients. Je suis inscrit sur pas mal d’autres plates-formes, mais elles ne m’ont pas permis de trouver des missions, et je ne suis pas fan de leur approche. WeLoveDevs (W3D) n’est pas une plates-forme comme les autres. Habituellement, une plate-forme va afficher les freelances, leurs disponibilités et leur TJM (tarif journalier moyen). Avec ce service, c’est complètement l’inverse. Ce sont en effet les entreprises qui se présentent sur le site dans le but de convaincre les développeurs inscrits sur la plate-forme de travailler avec eux. Elle possède par ailleurs une véritable communauté. La plupart des missions que j’ai réalisées m’ont été proposées directement par les fondateurs ou d’autres développeurs qui cherchaient du renfort. Outre les devs qui ont la possibilité de recommander des entreprises via un système de « likes », la plate-forme suggère des entreprises similaires à celles qu’on a aimées. Non seulement ce mode de fonctionnement inspire confiance, mais cela nous donne toutes les chances de trouver la mission de nos rêves. Sans compter que les présentations des entreprises sur la plate-forme sont souvent des vidéos dans lesquelles on peut voir et entendre les dirigeants, mais aussi les membres de l’équipe s’exprimer sur leurs conditions de travail. »
« J’ai pu maintenir mon niveau de revenus »
Rémi Doolaeghe, développeur indépendant full stack avec orientation UX.
« Durant l’été dernier, j’ai souhaité quitter pendant un temps le monde des grands comptes pour m’orienter dans l’univers des start-up. J’ai utilisé la plate-forme WeLoveDevs pendant six mois, essentiellement pour être mis en relation avec des start-up. J’ai pu trouver deux excellents contrats pour des missions que j’ai réellement appréciées, de respectivement 22 et 9 semaines. Pendant cette période, j’ai également eu recours à d’autres plates-formes de mise en relation – parmi lesquelles Malt, Upway, Club Freelance, Freelance Republik… Seule WeLoveDevs a su m’apporter des contacts pendant cette courte période. Je pense que WeLoveDevs a ce petit quelque chose en plus. Il y a également Malt qui s’est imposée dans le monde freelance et qui est devenue incontournable pour ceux qui cherchent de la visibilité. En revanche, elle est encore, selon moi, très focalisée sur la région parisienne. Pour un freelance en province, les offres sont bien plus limitées. Contrairement à WeLoveDevs, Malt est plus orientée vers les métiers du graphisme, de la rédaction, etc., que pour ceux des développeurs. Il y a des offres et des demandes pour les développeurs sur la plates-forme, mais ce type de profil n’est pas leur spécialité. Malgré les intercontrats que j’ai eu à subir – le monde des start-up étant moins prolifique en contrats –, j’ai pu malgré tout maintenir un niveau de revenus relativement proche à ce que j’ai connu durant mes années précédentes. Par la suite, je suis retourné dans le monde des grands comptes, et donc ai dû avoir recours à des apporteurs d’affaires plus classiques, avec le mécanisme de référencement auquel aucun indépendant ne peut échapper. »